Avoir un chez soi, c’est aussi essentiel pour avoir une existence aux yeux de l’administration. Alice Rouja s’est rendue à La Solidarité, une association roubaisienne, qui sert d’adresse à plus d’une centaine d’habitants de Roubaix, grâce à son système de boites aux lettres.
Photos Daphné Turpin
A Roubaix, un chez-soi pour ceux qui n’en ont pas
Demande d’asile, zigzags dans le Nord et parfois même dans la France entière. Diana est partie d’Albanie en 2013 avec ses jumeaux. Ils sont arrivés à Roubaix et en ont fait leur pied-à-terre depuis quatre ans. Les enfants sont diplômés, ou presque. Les yeux bruns de Diana se détournent vers ses mains. « Ça n’a pas été facile, d’ailleurs ça ne l’est toujours pas. »
Mais ce n’est pas pour autant qu’elle retournera au pays. « Ici, même sans rien je suis bien ». Depuis deux mois, ses enfants dorment à l’hôtel. Diana préfère rester à la Solidarité. « A l’hôtel, on me fait le lit, le ménage… Je ne suis pas une princesse, moi, il me faut du travail », dit-elle de son accent qui arrondit et lime les sonorités tranchantes du français.
Mais trouver du travail quand on est demande d’asile, c’est presque impossible. Alors, volontaire et déterminée, Diana est devenue bénévole à la Solidarité, « Parce que c’était près de la maison, rue du coq français ».
Une grande maison n’a de sens que lorsqu’elle prend vie. « La Solidarité c’est une maison qui protège de ce qui peut nous tomber sur la tête ». Au delà du slogan, Boulevard Belfort, se dresse un vieux bâtiment de briques sombres. Architecture typique des Flandres. Un industriel a fait construire la maison en 1924 pour en faire don à La Mission populaire, une association caritative cédée depuis à une seconde, La Mission évangélique. C’est donc une tradition : la maison offre son toit à tous ceux qui le souhaitent.
On y accède par une cour, un grand arbre y a pris ses aises, faisant craqueler le bitume. On pousse une porte en bois qui s’ouvre sur un intérieur sombre mais si vaste que l’on s’y sent respirer. Ici s’entassent mille objets utiles, usés, râpés ou neufs. Une odeur de livres poussiéreux au papier jauni, d’humidité mêlée au thé ou au café.
La pièce principale sert d’entrepôt pour les meubles. Armoires, bureaux, fauteuils, autant de pièces démontables que d’objets à fabriquer. Près du mur de droite, il faut se frayer un passage derrière de longues planches pour atteindre la bibliothèque. Sur la droite, le « vestiaire », un immense dressing de seconde main. Puis encore une autre salle aux trésors, brocante de vaisselle et bibelots en piles, dans des boites, sur des tapis, dans des tiroirs.
Une grande maison n’a de sens que lorsqu’elle prend vie. La Solidarité vibre au rythme du coeur et de l’ardeur des bénévoles. Jean-François s’occupe de la paperasse. Joseph a ouvert une salle de discussion pour les femmes et les LGBT. Rebya gère le vestiaire et Toufik se présente comme l’homme à tout faire. Il y a aussi deux professeurs de français qui dispensent des cours de tous niveaux. Et puis Anouk et Amine, les amoureux. La pièce principale fait office de salle de réception du courrier. Car même s’il existe des institutions habilitées aux domiciliations, elles ne peuvent pas s’occuper de tout le monde. Manque de moyens, de temps, procédures administratives interminables. Des associations comme la Solidarité ou la Croix Rouge prennent alors le relais.
Une adresse à partager. En France, pour prétendre à n’importe quelle aide, il faut une adresse. Ils sont presque mille à posséder la même. Roubaisiens, étrangers, jeunes en galère, exilés, travailleurs pauvres, familles entières, partagent la boîte aux lettres de « la Soli ». Le lundi et le vendredi, de 14 à 16 heures, la pièce se transforme. Sur deux grandes tables s’empilent des boites à chaussures et des pochettes colorées couvertes par des lettres de l’alphabet écrites au feutre. Le courrier est trié. Soigneusement rangé à la main. Pour récupérer une lettre, il faut se présenter auprès des bénévoles et fournir une pièce d’identité. Certains se contentent d’une carte Transpole. Les bénévoles délivrent le courrier. Quand il y en a. Enveloppe en main, surtout ne pas oublier de signer le registre avant de partir. Rien n’est informatisé.
A la Solidarité, s’il n’y avait pas d’enceintes pour passer un peu de musique, on pourrait se croire vingt ans en arrière. Ces après-midis-là, La Solidarité s’anime. On y parle toutes les langues, on détache les syllabes en français. On croise les habitués et ceux qu’on n’a pas vus depuis longtemps. Rallumer la lumière. Certains s’empressent de récupérer leur courrier avant de partir. D’autres prennent le temps de discuter des galères quotidiennes, mais aussi de la famille. Mamadi, un bénévole guinéen, attend d’être régularisé depuis douze ans. Hana est algérienne et est arrivée depuis un an en France avec ses six enfants. Elle raconte, tout sourire, à quel point sa fille réussit bien à l’école. « La domiciliation sert aussi à ça, à entretenir le lien fraternel », glisse Jean-François, bénévole à « la Soli » depuis tellement d’années qu’il ne les compte plus.
La domiciliation est un vrai mille-feuilles administratif pour l’association, prise dans d’incessants allers-retours avec les instances administratives. La Caf ne demande pas les mêmes papiers que l’assurance médicale, les impôts réclament une domiciliation datée du 1er janvier… Rendez-vous sur rendez-vous. Le processus est long et laborieux. A tel point qu’il implique parfois de tricher.
« Magnifique! Ils nous ont remis de la lumière ! Ça faisait un mois que le vestiaire était dans le noir » s’exclame Jean-François. C’est la galère ici aussi. La Solidarité manque de moyens et l’électricité semble n’en faire qu’à sa tête. La chaudière est restée presque tout l’hiver en panne. « Parait-il qu’ils ont déjà trop à faire… » me lance un bénévole évasif, en faisant allusion au siège parisien de La Mission évangélique. Mais les bénévoles font le dos rond : il en faudra plus pour avoir la peau de « la Soli ».