© Julien Pitinome
Le jour où la frontière m’a traversé.e
Bouillon d’injustice
par Nadia Daou
Un bouillon injuste
Aujourd’hui, mon cœur crie
Misère, larmes, injustice, furie
Mes papiers tirent leur sonnette d’alarme
Et je ne sais plus comment les renouveler
A quoi servent ma volonté de vivre ici et mes affinités artistiques
Pour cet art de vivre à la française
J’ai peur et je suis constipée par la colère
Un volcan qui refuse de dormir et se retient de s’exploser
Un Pompéi avorté
Je ressens l’injustice amère
Des marginalisés
Des gens sans papiers glanés ça et là
Et du Christ innocent du haut de sa croix
Je suis dans une société
Sans vraiment pouvoir y être pleinement
Sur le contour qu’on euphémise en périphérie
Ni vraiment dedans ni vraiment dehors
Entre l’exclusion et la ségrégation
Je veux être entièrement active dans cette nation que j’ai choisie
Ni vacataire ni 60% ni temps partiel
Je veux croître mais les papiers ou les ronces m’empêchent de respirer
La lance du flanc
La flèche des talons d’Achille
La goutte de trop
Pas de contrat sans papiers
Pas de papiers sans contrat
Même Œdipe Roi n’a pu résoudre
l’énigme de cette minable Frinx
Une sphinge à la française
Marianne moderne
Je suis suffoquée
Peur bleue, colère noire
Toujours cette boule au ventre et ce chat à la gorge
D’année en année, je renouvelle
Mes vœux comme une entrée dans les ordres
Et surtout ma fameuse
date de naissance
Pourvu que chaque jour je meure et je renaîsse
Tellement c’est dur de pouvoir être intégrée, voire incluse
On s’adapte vite par plaisir par amour par conviction par nécessité
Mais Ô que c’est affreux d’attendre tout le temps autrui de t’accepter
Dans son champ, son cercle et sa société
Ta différence devient pénalisante
Même si on vante sa richesse, son exotisme, son houmous exquis
Et tout le tralala de « habibi » qui va et vient
La parole devient gratuite, détaxée
Les lanceurs de roses sont abondants
Mais toute cette belle poésie d’ouverture d’esprit, de fraternité et de solidarité Tout ce blabla flatteur d’aider les étrangers et de les aimer
S’évapore dans l’air frais
Tant qu’aucun coup d’épée ne vient
Trancher le nœud gordien et concrétiser
Toutes ces promesses en actions
Tant qu’on ne respecte pas la personne dans son intégralité
Et voilà,
Tu finis comme un chien aux aguets
A la merci
D’une injustice sociale et d’une culturophobie
D’une maladie humaine, d’une tragédie
Où il suffit de dire Bonjour pour deviner
Le reste de ta vie, de tes origines et de tes plis
Et te voici
Une épave
En débris à la suite d’un naufrage
Reléguée à la plage
de cet océan où tu te bats
depuis plus que six ans,
tel un crachat méprisant
Vomissant d’un seul trait tout un chemin de Golgotha…